Avant de venir ici, en partant de là bas, je devais « me préparer ».
Être prête aux chocs culturels, à la nourriture, au(x) langage(s), aux croyances, à la pauvreté. Je pensais que je vivrai mal cette dernière chose : la pauvreté, la mendicité, la misère. Mais attention ces mots ne sont pas synonymes. Ils ont chacun leur définition. Certes la pauvreté est présente au quotidien : tous les petits métiers dans la rue, je pense notamment à des familles de bâtisseurs de maisons dans mon quartier (ils construisent une maisonnette en briques rouges accueillant juste la place pour dormir, faisant leur vie quotidienne devant celle-ci et à côté de la villa qu’ils bâtissent et qui bien évidemment ne leur est pas destinée) les enfants qui travaillent après l’école (ou à la place de l’école) mais ce n’est pas la même pauvreté qu’en France. Quand tu n’as rien tu peux toujours tenter de monter ta petite affaire de vendeur ambulant de babioles, de choppes, de livraison de tes légumes à domicile. Merci au libéralisme et à la débrouillardise. La mendicité. Là est le problème sûrement, pas celui des personnes en elles mêmes qui font cela mais de ma réaction. Froide, quasi hautaine, j’avais oublié ce que signifie quelqu’un qui te demande à manger avec son enfant dans les bras alors que dans les tiens ce sont tes sacs de courses.
Je ne m’attendais pas à ce que ça ne me touche pas en fait… Je m’étais tellement bien préparée que j’avais perdu un peu d’humanité et monté un mur de protection. Alors certes je me donnais bonne conscience en me disant que je donne à une association caritative et que quand je fais marcher des petits travailleurs du quotidien je n’hésite pas à leur donner un peu plus ou à me laisser avoir sur le prix. Bonne conscience. Mais ais-je seulement conscience de ce que c’est de ne pas pouvoir boire, manger et dormir ? Alors oui peut-être que je viens de me réveiller. Mais cela n’empêche que je me sens aussi mal à donner quelques roupies qu’à dire non aux mendiants qui m’attrapent le bras et me suivent dans la rue en psalmodiant leurs complaintes. Oui rien n’est simple, peut-être avoir conscience est déjà un début.
Je dois avouer que la misère je ne l’ai pas vraiment vu, où je ne veux pas me résoudre à l’appeler comme ça, car il y a toujours de la vie là où on pourrait appeler ça de la misère.
Dans le fond la mendicité indienne me touche autant que celle en France. Il faut savoir balayer devant sa porte avant de porter de bons jugements ailleurs. Et avec la situation des Roms en France je ne trouve pas que nous soyons bien plus reluisants. Même là je me contredis à comparer mendicité française et indienne, c’est bien loin d’être la même. Mais c’est dans le geste d’une personne qui demande publiquement de l’aide que je trouve la ressemblance.
En écrivant ce texte je me rends compte que cette réaction arrive aussi au moment où je suis vraiment dans un quotidien d’indienne de classe haute, privilégiée, en zone protégée. Et j’ai beau être dans ce pays, on peut facilement se laisser enfermer dans une cage dorée et oublier, ou ne plus voir toute la réalité du monde qui t’entoure.
Comme cela peut aussi arriver dans son pays d’origine.
Comme cela peut aussi arriver dans son pays d’origine.